Titre de la thèse :
Une « phobie d’État ». Les intellectuels français contre l’état d’urgence (2015-2017)
Résumé de thèse:
Le présent projet de thèse se propose d’étudier les différents discours des intellectuels sur l’état d’urgence en France pendant son application entre novembre 2015 et novembre 2017. La France n’a pas fait exception aux dynamiques croisées présentées ci-dessus. Les prolongations successives de l’état d’urgence, le projet de constitutionnalisation et sa normalisation progressive, jusqu’à l’inscription de ses dispositions dans le droit commun, ont suscité une opposition de la part des intellectuels qui sont intervenus dans la sphère publique pour dénoncer l’« état d’urgence permanent » et la « frénésie sécuritaire ». Ces discours ont pris des formes diverses ; la tribune dans un grand journal national y a conservé sa centralité. Dans le débat public autour de l’état d’urgence sont intervenus, entre autres, les juristes, les politologues, les philosophes, les historiens. Certains d’entre eux, comme Pierre Rosanvallon7 ou Mireille Delmas-Marty, sont plus connus par l’opinion publique ; pour les autres, il s’agissait d’une première prise de parole publique en dehors du cadre universitaire.
L’étude des critiques d’intellectuels de l’état d’urgence serait pertinente en ce qu’elle permettrait de restituer une certaine vision de l’État. L’état d’urgence est un dispositif qui permet de suspendre un nombre des garanties juridiques et change l’équilibre entre les pouvoirs. Il met en question les principes fondateurs du système juridique libéral. Par conséquent, un examen de la perception de l’état d’urgence par les intellectuels donne en même temps à voir leur perception de l’État de droit, et de l’État tout court. Il est aussi une occasion de vérifier empiriquement la place qu’occupent les théories de l’État libéral autoritaire et de la convergence autoritaire dans un contexte différent du cadre universitaire, d’autant plus qu’elles posent l’usage de procédures d’urgence comme un trait typique de la gouvernementalité contemporaine.
L’ambition du projet est d’interroger la logique interne de ces discours. Le problème ici est celui de l’ontologie d’État sous-entendue par les intervenants dans le débat français sur l’application de l’état d’urgence. Une représentation faussée du fonctionnement de l’État contemporain déboucherait sur une analyse biaisée de la situation politique ainsi que des raisons et des conséquences du recours à la législation d’exception. L’étude proposée doit sonder en profondeur la vision de la rationalité propre aux démocraties libérales qui surgit des critiques en question. Elle semble être en première approche celle d’un pouvoir monolithique et d’un État en quête d’expansion, peinant à rendre compte d’une réalité étatique très composite.
Si cette thèse s’avère être vraie, les polémiques intellectuelles autour de l’état d’urgence pourraient être interprétées, à partir du biais de la « théologie négative de l’État comme mal absolu » partagée, qu’on pouvait retrouver chez les critiques de la politique pénale allemande au moment de l’emprisonnement des terroristes de la première génération de la RAF dans les années 70. Il est un axe important du travail projeté d’étudier une continuité possible entre les analyses variées de l « État dévorateur», ayant un lien de parenté apparent avec la « phobie d’État » foucaldienne. Le cas allemand semble être particulièrement éclairant pour donner du sens au débat français. Il ne s’agit pas de comparer l’incomparable, mais de mieux comprendre les dynamiques des discours publiques aux moments de crise et de prendre une distance nécessaire pour analyser les événements dont le caractère récent risque d’obscurcir l’étude. Un croisement Allemagne 1970/France 2010 se justifie par un nombre de similitudes : dans le deux cas le débat se concentrait autour de la notion d’état d’exception dans le contexte de la menace terroriste, dans les deux cas les intellectuels ont pris les devants dans ce débat, dans les deux cas la légitimité de l’État avec ses pratiques répressives a été mise en question, finalement les deux cas mettent en lumière les frontières précaires qui séparent l’exception et la norme dans les sociétés contemporaines.
Directeurs de thèse et universités : Rainer Maria Kiesow (EHESS, Centre Simmel) et Dieter Gosewinkel (WZB)
Année de début de thèse : 2020
Publications:
ADAMSKA Weronika, « Konstytucjonalizować stan wyjątkowy? Wnioski z debat w V Republice Francuskiej », in Maciej SEROWANIEC, Marcin DOROCHOWICZ et Jakub ZEMŁA (dir.), Konstytucje państw nowożytnych. Przegląd prawno-historyczny, Toruń, Wydawnictwo Naukowe Uniwersytetu Mikołaja Kopernika, 2019, pp. 9-20.
ADAMSKA Weronika, « On non-normative functions of state of emergency. A glimpse at French état d’urgence », Internetowy Przegląd Prawniczy TBSP UJ, 2019, vol. 46, no 2, pp. 24-32.
ADAMSKA Weronika, « The Emergency Constitution. O aktualności postulatów Bruce’a Ackermana w kontekście europejskiej walki z terroryzmem », in Łukasz BARTOSIK, Marcin TOMCZAK et Michał URBAŃCZYK (dir.), Amerykańska myśl polityczna, ekonomiczna i prawna – zagadnienia wybrane (tom I), Łódź-Poznań, ArchaeGraph, 2018, pp. 75-88.